Mais qui est Emile Ajar ?

Par l'intermédiaire de la polymorphie de Roman Kacew, il sera question de s'interroger sur le sens de l'identité.

CULTURE

Elise ROY

12/14/20223 min read

Mais qui est Emile Ajar ?

Lorsque Romain Gary se suicide en 198O, ce sont une multitude d’auteurs qui sont morts. Étonnamment, ce décès ne marque pas la fin d’une unique carrière, mais bien celle définitive et brutale d’une multitude de plumes. Romain ? Roman ? Emile ? Mais qui se cache réellement derrière ces noms ?

Un jeu d’identités

Originaire de l’actuelle ville de Vilnius en Lituanie, Romain Gary n’a cessé de jouer de ses nombreuses empreintes identitaires. De son vrai nom Roman Kacew, rien n’a été publié. C’est en effet sous divers pseudonymes que l’ensemble de ses œuvres furent signées. La plus connue, puisque c’est avec celle-ci qu’il remporte le prix Goncourt en 1956, écrite sous le nom de Romain Gary, n’est autre que les Racines du ciel. Toutefois il se vêtit aussi de celui de Shatan Bogat voire Fosco Sinialdi afin de donner un nouvel élan à ses écrits. Son ambition, au-delà de pouvoir enfouir son travail sous une appellation différente et celle d'utiliser le pseudonyme comme un outil permettant d’atteindre une certaine neutralité. Par l'intermédiaire d’un autre nom, il aspire à avoir des avis plus impartiaux, moins teintés de l’image renvoyée par ses succès précédents. L’idée, loin d’être absurde, lui permet de réussir l’une des plus grandes impostures ; ce n’est pas un, mais deux Goncourt que son talent a récompensé. Sous le pseudonyme d’Emile Ajar La vie devant soi lui permet en 1975 d’avoir une seconde fois le prix, alors que l’institution n’autorise qu’une unique victoire.

Une supercherie magistrale

Dans Il n’y a pas de Ajar, l’écrivaine et rabbine Delphine Horvilleur donne une réalité à Emile Ajar. Avec une certaine lucidité, elle bouscule la fiction en lui offrant une empreinte concrète, puisque dans son texte, Abraham Ajar serait le fils de l’Emile imaginaire. Quoi de plus surprenant que d’envisager la continuité d’une des usurpations littéraires les plus symboliques ? Certes, cela étonne, mais justement, se poser et réfléchir aux vies nombreuses et tumultueuses de Roman Kacew, c’est devoir affronter non seulement la question épineuse de l’identité, mais davantage celle de sa spontanéité. Plus précisément, il n'est pas insensé de se demander si notre identité est originaire ou façonnée par le temps. Sommes-nous maîtres de l’image que nous renvoyons ? Il semblerait. L'identité n’est qu’un agencement conceptuel qui, au besoin, peut-être défait ou créé de toutes pièces. Dans une certaine mesure c’est avec ruse que Roman Kacew, en se créant des multiples “soi”, chercha à atteindre la sincérité. À paraître crédible malgré le mensonge. L’identité mérite d’être valorisée afin que la société lui donne une existence concrète.

À la lueur du livre de Delphine Horvilleur et de la polymorphie de Romain Gary, c’est tout l’édifice de la question identitaire, de l’identification qui est questionné.

Elise Roy