Badinter et Gandalf (ou comment lutter contre la peine de mort depuis 40 ans) 

Par un hasard total (destin ou coïncidence), j’ai emprunté un livre de Robert Badinter la semaine dernière. Il y revenait sur ses années en tant que Garde des Sceaux après l’abolition de la peine de mort, et ce qui m’a frappé tout particulièrement, c’est que jusqu’au bout de son parcours de Ministre, bien qu’abolie en 1981, la peine de mort est remise au centre de chacune de ses réformes.

Camille C.

2/3/20224 min read

Si l’on célèbre aujourd’hui, rassurés, l’abrogation d’une pratique considérée comme barbare pour un pays civilisé et défenseur des droits humains comme la France, on oublie trop souvent que celle-ci n’a pendant longtemps pas fait l’unanimité.

D’abord parce que le combat de l’avocat Robert Badinter n’est pas bien vu : il passe à l’époque pour le défenseur des criminels, encourageant la délinquance en interdisant leur exécution. C’est au bout d’une lutte de longue haleine que François Mitterrand, après l’avoir inscrite dans sa liste de 110 propositions pour sa campagne présidentielle, promulgue le 10 octobre 1981 la loi 91-908 abolissant la peine de mort. La loi a été votée par 161 voix pour contre 126 le 30 septembre. Et l’Histoire pourrait s’arrêter là, une fois l’objectif atteint.

Or c’est loin d’être le cas : à chaque proposition de loi de l’ancien avocat, à présent Garde des Sceaux Robert Badinter, l’opposition conservatrice relance le débat, et récrimine contre un laxisme qui encouragerait la délinquance et le meurtre en toute impunité. Et chaque fois, le ministre doit rappeler les raisons qui ont conduit la France, pays de la liberté, des droits de l’Homme, à abolir la peine de mort et devenir ainsi le 36ème État du monde à le faire, mais gardant le rôle quelque peu honteux d’être le dernier de l’Union Européenne à l’avoir abrogée.

Ce n’est qu’à la fin du premier mandat de Mitterrand que le Conseil Constitutionnel, sous l’impulsion de l’homme qui, depuis l’exécution de son client Roger Bontemps en 1972 n’a cessé de se battre, déclare conforme à la Constitution le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée par la France le 28 avril 1983. À travers cette validation, la peine de mort devient difficile à rétablir, puisque pour ce faire, il faut révoquer un protocole européen sur les droits de l’homme, donc renier notre qualité de pays de la Révolution française. Cependant, les oppositions persistent : entre 1984 et 2004, des opposants vont déposer une trentaine de propositions visant à revenir sur l’abolition, heureusement toutes rejetées. Enfin, le 23 février 2007, l’interdiction de la peine de mort est inscrite dans la Constitution, et l’œuvre d’une vie, celle de Robert Badinter, est parachevée : un retour en arrière est définitivement enterré.

Et pourtant… Malgré toutes ces précautions juridiques, le débat reste central. D’abord parce que sur 195 pays, 107 ont légalement aboli la peine de mort, quant aux autres, certains ne l’appliquent pas mais ne l’ont pas abolie, ou alors la conservent pour des situations exceptionnelles, ou l’appliquent tout simplement (coucou les États-Unis) … Ensuite parce que l’argument éternel, celui de la délinquance impunie, revient toujours, d’autant plus fort que les dangers se font sentir. Or, face aux attentats, et à la surmédiatisation des affaires sordides qui installent un climat de peur, la loi du Talion ressurgit et ils sont nombreux à prôner l’ « œil pour œil ». Ainsi, lors d’un sondage en 2020, 55% des français étaient favorables au retour de la peine de mort, une part en augmentation par rapport aux années précédentes. Un sondage, certes, mais qui interroge tout de même et relance une fois de plus l’éternel débat. Si jamais il fait également écho chez vous, j’aimerais vous partager une phrase d’un grand philosophe, Gandalf, qui dans le Seigneur des anneaux demande à Frodon - lequel estime que Gollum devrait être tué - : “Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort, et les morts qui mériteraient la vie, pouvez-vous la leur rendre ?”. 

Alors loin des considérations philosophiques, et d’un point de vue moins objectif, je vous invite à lire L’Abolition de Robert Badinter sur son combat contre la peine de mort (que je n’ai pas lu) ou alors Les Épines et les Roses, sur son temps comme Ministre de la Justice (beaucoup plus badass - et plus classe - que notre Dupond-Moretti national), à travers la lecture duquel j’avoue avoir développé une admiration sans borne pour ce cher Robert. Parce que son combat est d’abord celui d’un humaniste, dont la foi en l’être humain m’est chère, parce que l’abolition de la peine de mort n’est que la face éclairée d’une réforme de la Justice qui a notamment dépénalisé au passage les relations homosexuelles et contribué à l’amélioration des conditions de détentions et de réinsertion des prisonniers. Bref, parce qu’on a célébré l’abolition de la peine de mort avant son auteur, pour une fois, je voudrais exprimer tout mon respect pour Robert Badinter et tous les hommes et femmes qui se sont battus, se battent et se battront pour rendre le monde un peu meilleur.