Musées privés : que fait l'Etat ?

Alors que cet été 2021 a rimé avec la reprise des activités culturelles après près de 8 mois de mise en sommeil, intéressons-nous à une facette méconnue de la transmission du savoir culturel : les musées privés.

Tom Lerat

2/2/20224 min read

La France compte aujourd’hui près de 1 200 musées, parmi eux environ 80 relèvent directement du Ministère de la culture. Le reste est partagé entre les collectivités territoriales, des associations ou encore des sociétés privées. Mais, là encore, il y a un distinguo à faire parmi la foule de musées tenus par des entreprises. D’un côté, les grandes entreprises à l’instar de la Fondation Louis Vuitton installée dans le Bois de Boulogne. Pour celles-ci, a priori, aucun souci à se faire. Non, la situation est bien plus préoccupante du côté des PME et TPE, souvent des entreprises familiales qui font vivre cette mission de transmission du savoir. 

Cette histoire de transmission, c’est la vie d’un petit musée situé sur la Côte d’Opale. Un cadre idyllique avec vue sur la mer et les côtes britanniques. Pourtant, c’est un lourd passé qui hante ce lieu. En effet, c’est sur ces terres si proches de l’Angleterre que la barbarie nazie a installé une des plus importantes batteries côtières du Mur de l’Atlantique. Ce lieu si particulier est depuis près de 50 ans, la propriété d’une même famille qui a chevillé au corps sa mission de « passage de relais », près de 45 000 visiteurs sont accueillis chaque année -en temps normal- et pourtant, en 50 ans, aucune subvention de l’Etat n’a été reçue. Pourquoi ? Lorsqu’on interroge les propriétaires à ce sujet, ils restent évasifs, pour eux, ils n’ont besoin ni de l’aide de l’Etat, ni du département du Pas-de-Calais. Le gérant souligne même le début de construction d’un parking financé par les collectivités locales (après près de 10 ans de négociations…).

Pourquoi avoir besoin de l’Etat ?

Pourtant, cette non-intervention de l’Etat n’est pas sans poser problème. En effet, en n’aidant pas ces petits musées, a fortiori des lieux de mémoire de la Seconde Guerre Mondiale, l’Etat semble se désengager de sa mission du « devoir mémoriel ». Qui dit aucune aide de l’Etat dit aussi une inclusivité réduite. Alors, c’est souvent gênés que les gérants annoncent qu’il n’existe pas de réduction sur le ticket d’entrée pour les personnes en situation de handicap, au chômage ou à la retraite. Ce n’est pourtant pas la volonté d’inclusivité qui manque de la part des propriétaires mais simplement le manque de financement de l’Etat qui ici semble indispensable dans l’accès le plus large à la culture. D’ailleurs, concernant l’accessibilité du lieu, l’Etat ne s’engage guère plus. Résultat des courses, faute d’équipement les fauteuils roulants ne peuvent être admis à l’intérieur du lieu. Il ne faut cependant pas voir de mauvaise foi de la part des gérants. Rendre accessible le musée qui se situe dans un immense blockhaus couterait plusieurs centaines de milliers d’euros, une somme impossible à rassembler pour une TPE familiale sans l’aide de l’Etat et des collectivités locales. Tout un pan de la société se retrouve donc exclu de ce lieu de mémoire.

Que l’Etat n’investisse pas, à la rigueur on peut le comprendre en ces temps de creusement du déficit public. Qu’il empêche l’innovation, on le comprend beaucoup moins. Car les propriétaires ont effectivement tenté des dispositifs innovants. On peut prendre pour exemple le projet de construction d’un nouvel accueil pour le public dans une longère en pierre de mer typique de cette région de la France. Or, le projet a été vivement retoqué par les services de l’Etat sous prétexte que le site est classé en zone protégée. L’accueil existe bel et bien mais le législateur a imposé que le bâtiment soit un préfabriqué (pour la préservation du paysage, on repassera). Pour les gérants, tout nouveau projet est un chemin de croix comme la repeinte de l’enseigne qui a failli valoir une grosse amande pour dégradation du paysage à cause de la couleur du lettrage.

Quelles solutions apporter ?

Alors que la ministre de la culture Roselyne Bachelot comptait apporter un soutien massif aux musées après la dure période de confinement, cette histoire fait un peu tâche. Est-elle un cas isolé ? Peut-être, mais il existe des solutions pour réconcilier acteurs publics et privés. C’est ce que met en place le département du Calvados en donnant une grosse visibilité à la floppée de musées privés qui existent sur les terres du débarquement du 6 juin 1944. Parmi les actions entreprises par la collectivité locale, on peut compter le recensement de tous les musées -privés ou publics- sur le site internet du département. Mais on retrouve surtout des instances de coopération public/privé permettant une gestion concertée et pragmatique des lieux de mémoire de la seconde guerre mondiale.

Pourtant, cette implication ne serait-elle pas motivée par le flot immense de touristes que draine le débarquement ? En effet, en 2017 ce sont plus de 4,67 millions de curieux qui viennent visiter les sites liés au débarquement. Les collectivités locales ont donc un énorme intérêt à investir dans le tourisme de mémoire. Alors, à côté, le petit musée du Pas-de-Calais fait pâle figure avec ses 45 000 visiteurs par an.

Cependant, ce n’est pas cela qui fera baisser les bras de ces « passeurs de mémoire » pleins de ténacité. Même si l’Etat est absent, pour le gérant, la plus belle des récompenses est « d’avoir passé ne serait-ce qu’un petit relais historique ». A en voir la satisfaction générale des visiteurs, la mission semble accomplie, à l’aube de sa cinquantième saison, le Musée du Mur de l’Atlantique d’Audinghen (62) poursuit son petit bonhomme de chemin toujours sans la moindre subvention.