Qui êtes-vous sans les réseaux sociaux ?

Je me suis souvent demandée qui j’étais. Avec les réseaux sociaux, j’ai cru savoir qui j’étais, que je n’étais que cette personne là, sur cette photo, avec ce nombre d’abonnés, ce nombre de likes. Je grossis le trait, j’ai une vie à côté de cela... vie que je partage paradoxalement sur ces mêmes plateformes.

Cassis Swarovski

1/10/20224 min read

Et soudain, le noir. La grande machine s’est arrêtée. La machine a buggé. M.Zuckerberg a planté: le black out. Noir ? Vraiment ? J’aurais plutôt dit qu’il y a eu un blanc dans ma vie, un vide, plus aucune notification pour colorer ma vie de ces jolies couleurs artificielles. Je lève la tête de mon écran, je me sens incomplète, c’est étrange de ne plus pouvoir communiquer avec un groupe. Où est passée ma communauté, cette “mif” de toujours? Je passe de ces groupes géants à 25 à mon cercle familial, mon cercle d’ami local, habituel, sans plus grand intérêt que cela.

Heureusement pour le sort de l’humanité, la panne n’a duré que 6 petites - et paradoxalement si longues - heures. Le groupe Facebook - c’est ainsi qu’il s’appelait encore du temps de la panne du 5 octobre - a disparu des radars. Il a filé à l’anglaise tout comme ses comparses Instagram, WhatsApp et Messenger, qui appartiennent tous au géant de la Silicon Valley. Les premiers messages d’erreur laissaient entendre qu’il y avait un problème avec les systèmes de noms de domaine… Apparemment les adresses IP s’étaient perdues entre les serveurs, mais elles ne furent pas seules à errer : la moitié de la population mondiale se perdant également dans les méandres de l’ennui.

Et si la panne s’était étendue à tous les réseaux, pas uniquement à Facebook ? Et si, pour une fois, (et pas uniquement ces marginaux en détox d’internet que l’on admire avec hypocrisie), tout le monde avait été privé? Et si la terre entière était privée de tout réseau social indéfiniment?

Que se passerait-il pour ces gens aux 12 heures de temps d’écran par jour? Que feraient-ils de leur vie? Une sorte de confinement mais en pire. Ce n’est pas comme si nous passions 12 heures par jour à faire du sport aller au cinéma, ou que sais-je, au restaurant. Alors que faire de ces 12 nouvelles heures de libre?

Ce serait la liberté. Nous crierions notre émancipation des réseaux sociaux et de leurs algorithmes oppressants. Oh vraiment ? Cette joie semble éphémère et hypocrite. Non, soudainement nous nous ennuyons, sans divertissement, rien ne nous attirait dans cette page blanche et vide de notifications, d’events, de lives… dans le monde coloré des réseaux, il y avait l’attente oui, l’attente addictive d’un prochain post intéressant, on scroll indéfiniment pour encore plus d’amusement, dans l’attente d’un prochain réel qui nous ferait rire aux larmes. Or, sans cela, il ne reste pas grand chose à faire, tout comme au dernier confinement...

Tout était si bien rempli dans ces applications, ces lieux de vie numériques, ces nouveaux agoras et nouveaux lieux de porte-parolat. Nous avons l’impression que notre journée se remplit d'elle-même, ne voyant pas passer le temps derrière ce scroll indéfini.

Mais… page blanche.

Nous réalisons avec brutalité que notre vie n’est pas une partition réglée comme du papier à musique, elle n’est pas la photo épurée et parfaite postée par ces influenceurs. Non, la vie sans réseau social, ce n’est pas la facilité. Nous avions le monde à nos pieds, nous pouvions nous rendre en Australie rien qu’en cliquant sur le hashtag ou vivre cette fan-fiction avec Di Caprio. Quand vous étiez au restaurant avec ce groupe de potes que vous voyez trop souvent à la cafet', et avec qui vous n’aviez plus rien à dire, que faisiez-vous ? Vous extirper ce téléphone comme un bouclier contre l’ennui. Mais maintenant que faire ? C’est vide. C’est l’ennui avec Sylvie de la compta’ qui n’en mène pas plus large que vous.

Par dépit, après ces journées d’ennui, comme au confinement, nous prenons une initiative et tentons de prendre la plume et d’écrire sur cette feuille blanche. La vie ne nous autorise pas à faire “contrôle Z”, et le résultat est brouillon. Fainéants, nous voulons échapper à ce tableau horrible que nous avons produit, un auto-portrait peu flatteur. C’est la pratique qui nous aiderait à maîtriser cet art qu’est la vie. Mais la discipline nous a quittée. La seule discipline qui nous dictait c’était le diktat du geste qui ouvre le téléphone et qui fait défiler les posts. On nous maternait pour vivre, maintenant que nous nous réveillons tel Neo dans Matrix, il nous faut tout réapprendre. Apprendre à être soi sans la perfection maladive que tentent d’atteindre les réseaux. En nous réveillant d’un rêve d’enfant immature nous devons atteindre une identité construite par les épreuves réelles de la vie, pas les épreuves du dernier défi tik-tok.

Qui sommes-nous désormais? Sans doute des âmes perdues cherchant à s’éloigner d'elles-mêmes, de leurs conditions vaines. Nous souhaitons hardiment croire en des arrières-mondes, croire au Paradis pour s’extraire de ce bas monde qu’est le plancher des vaches. Le nouvel arrière-monde ne serait-il pas devenu Facebook et Insta ? Ne serions-nous pas tous devenus des apôtres ? Notre nouveau dieu étant un dieu personnalisé qui nous divertit chaque jour par un nouveau tour dans un tik-tok? Saint Pierre, ô gardien des clés… Attends quoi? Zuckerberg l’a remplacé ? Qu’importe, laissez-moi accéder à mes comptes, je dois lire les commentaires de ma publication pour savoir qui je suis, pour avoir accès à mon être… je dois savoir ce que les autres pensent de moi…

Mais que vaut ce moi créé dans l’artificialité ? Le vertige me prend soudain, je perds pied entre la réalité de l’ennui qui m’a été présentée par cette absence totale de réseaux et ma tentative de saisir le stylos pour essayer de construire un moi physique, un moi réel. Qui choisir entre cette photo de profil parfaite et cette personne chancelante apprenant à vivre ?

Le choix est rapidement fait…

Mais ce choix, vous n’aurez jamais à le faire. Vous ne saurez même pas qu’il aurait pu exister. Car les réseaux sociaux sont la matrice qui s’est emparé de notre ADN, accaparant un bon quart de nos journées. Soyez rassurez, les réseaux sociaux ne sont pas prêts de fermer boutique de si tôt…

Tiens, une unique notification apparaît. Toute aussi fade que ces six heures de vide passées dans la panne de Facebook: baisse de 34% de votre temps d’écran. Est-ce bien, est-ce mal ? Demandez donc à votre dieu personnalisé, car après tout, qui suis-je pour juger ?

Et vous, qui êtes vous ?

Cassis Swarovski