Le programme Scorpion

Benjamin Kammerer

2/1/20223 min read

Mois de mai 2020, le général d’armée Thierry Burkhard[1], à l’époque nouveau CEMAT (Chef d’Etat-major de l’Armée de Terre), présente sa vision stratégique pour l’horizon 2030. Son objectif central : endurcir l’Armée de Terre pour la rendre à même de mener des affrontements de haute intensité (affrontements durant lesquels la suprématie de l’Armée française sera contestée dans tous les espaces du combat, terre, air, mer, espace, cyberespace). Parmi les moyens principaux à sa disposition : la modernisation des équipements de l’Armée de Terre avec le programme SCORPION. SCORPION, dont les lignes se sont progressivement dessinées depuis les premières ébauches de modernisation de l’Armée de Terre, au début des années 2010, est aujourd’hui certainement le sujet central quand on traite du futur de l’Armée de Terre. Mais qu’est, au juste, le programme SCORPION ?

Les leçons tirées des interventions françaises au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Afrique, notamment les engagements marquants d’Afghanistan, de la Centrafrique et de la bande sahélo-saharienne ont amené les cadres de l’Armée de Terre et de la Direction Générale de l’Armement à lancer un programme massif de modernisation de ses équipements : le programme SCORPION[2]. Concrètement ce programme s’incarne en deux volets : la production de nouveaux véhicules de combat (ou la rénovation d’anciennes versions) et la mise en relation de tous ces véhicules par un même système d’échange et d’exploitation de l’information : le système SICS[3]. La rénovation du parc de véhicules s’explique tout d’abord par l’ancienneté du parc actuel. Les anciens véhicules comme le VAB[4] ou le AMX 10 RCR[5] (le VAB est un véhicule de transport de troupes et l’AMX un char de reconnaissance et de combat) dont les entrées en service dataient respectivement de 1976 et de 1990, ne permettaient pas d’utiliser les potentialités des nouvelles technologies de communication et leur vétusté empêchait toute tentative d’adaptation. Ensuite, la rénovation se justifie par les contraintes que les véhicules antérieurs faisaient peser sur la protection des soldats (manque de blindage face aux nouvelles menaces notamment IED[6], exposition des tireurs), sur les conditions de vie des équipages (cruel manque de place et de climatisation) et sur le budget de l’Armée (l’entretien de véhicules anciens coûte plus cher que l’entretien de véhicules plus récents).

Pour comprendre les apports de SCORPION, penchons-nous sur le cas édifiant du véhicule de transport de troupes Griffon[7]. Pensé pour remplacer le VAB, le Griffon pèse environ deux fois plus lourd que son prédécesseur. Même si plusieurs versions seront développées, des constantes intéressantes se distinguent. Pour ce qui concerne les équipements de combat : nouveau système de suspension et d’interphonie, système acoustique de détection des tirs et de leur provenance, système de détection des télémètres ennemis, tourelleau téléopéré[8] (réduisant l’exposition du tireur). Le Griffon est équipé d’un moteur civil standardisé militaire, permettant notamment d’utiliser les carburants directement présents sur les théâtres d’opérations extérieurs. Pour la maintenance ses organes vitaux sont munis de capteurs donnant en temps réel l’état du véhicule, permettant ainsi une « maintenance prédictive ».

Toutefois, malgré les nouveautés précitées, ce qui réellement constitue la révolution de SCORPION, c’est la vétronique des nouveaux véhicules. La vétronique est l’architecture électronique des systèmes de navigation, de contrôle, de communication et d’observation des véhicules. Cette architecture, connectée avec celle des autres véhicules du système SCORPION, permet au Griffon d’avoir accès en temps réel aux informations recueillies par les autres véhicules (et inversement). Ce recueil plus large des informations et leur mise en relation plus aisée se résume en un mot : l’infovalorisation. En quelques mots, l’infovalorisation est la concentration d’informations sans concentration de moyens, améliorant la réactivité et réduisant l’exposition des forces, un pas de plus dans le combat collaboratif.

SCORPION et ses composantes ne font qu’un, autant dans le recueil de l’information que dans leur utilisation sur le champ de bataille. A l’avenir, l’Armée de Terre au combat ne conjuguera au singulier.


[1] Chef d’Etat-major des Armées depuis juillet 2021

[2] pour synergie de combat renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation

[3] pour système d’information du combat SCORPION

[4] véhicule de l’avant blindé

[5] Char léger de reconnaissance

[6] Improvise Explosive Device

[7] Ou Véhicule blindé multirôle, produit en collaboration par Nexter, Arquus et Thalès

[8] Fait intéressant : le tourelleau téléopéré étant directement relié au système de détection acoustique, celui-ci peut automatiquement pivoter en direction du lieu de provenance supposé des tirs