La police des mœurs en Iran

Matis Biller-Goeffers

12/12/20225 min read

« Femme, vie, liberté »

Trois mots, une expression pour concentrer toute une mobilisation sans précédent qui secoue le régime depuis le 16 septembre et la mort de Masha Amini pour un voile jugé « mal porté » par la police des mœurs. Tout a débuté par une secousse de trop, séisme déclenché par cette police qu’aujourd’hui les manifestants accablent et qui depuis le 4 décembre est dans la tourmente. La « patrouille de la guidance islamique » ou police des mœurs créée en 2006 a été dissoute dimanche dernier par le procureur général après près de trois mois de contestations de la rue, des femmes, des étudiants. Cet acte marque-t-il un sentiment de faiblesse du gouvernement face à une mobilisation qui se pérennise ou n’est-ce pas uniquement un leurre du pouvoir en place pour contenter et essouffler le mouvement social ?

Pour comprendre les enjeux de la mobilisation actuelle, la symbolique de la mort de Masha Amini et l’opposition à la République islamique, il faut revenir aux fondations en 1979. 1979, année de rupture internationale est marquée en Iran par des mobilisations contre le dictateur Shah allié des Occidentaux mais ennemi de sa population et d’un front islamique croissant dans la région, mouvement s’inscrivant dans la Guerre froide dans la continuité de la troisième voie du panarabisme. Sous le règne du Shah d’Iran et de l’influence occidentale, les femmes avaient une liberté sur la question du voile.

La révolution islamique est une onde de choc interne et internationale. Elle est plutôt bien acceptée par la population notamment les femmes qui ne mesurent pas l’ampleur du changement à venir. Le régime après quatre ans instaure ce qui est au fondement de sa constitution, la loi de 1983 sur le port du hijab obligatoire en Iran. Le voile est devenu obligatoire en public pour les Iraniennes comme pour les étrangères quelle que soit leur religion. L’Iran a par la suite oscillé entre des phases de durcissement ou d’ouverture sur le monde en fonction des présidents plus ou moins conservateurs en place. Par exemple, le président Mahmoud Ahmadinejad a créé la police des mœurs formée d’hommes en uniforme vert et de femmes voilées en noir portant le tchador patrouillant à partir de 2006. Pour lui, cette police doit « répandre la culture de la décence et du hidjab ». Une certaine liberté d’actions pour les Iraniennes était réapparue sous le mandat du modéré Hassan Rohani où des voiles colorés et des jeans serrés pouvaient être aperçus dans la rue. Cependant depuis juillet, les espoirs et espaces de liberté se sont réduits avec le nouveau président Ebrahim Raïssi. Ce président ultraconservateur a appelé à renforcer la loi sur le voile et a décrété que « les ennemis de l’Iran et de l’islam voulaient saper les valeurs culturelles et religieuses de la société en répandant la corruption ». La police des mœurs a donc sévi et augmenté ses contrôles et les punitions des « mal voilées ». C’est cette police qui a arrêté et battu à mort Masha Amini, jeune femme kurde iranienne pour une atteinte aux valeurs islamiques du régime par son port du voile mal respecté. Ce fut la mort de trop, l’élément déclencheur de la mobilisation, mobilisation de femmes qui ne souhaitent plus se voir en danger dans leur propre pays pour un voile définit comme « mal porté » par la police. Ces femmes ne sont pas à l’unisson contre le voile mais veulent avoir le choix ou non de le porter. La mobilisation a pris de l’ampleur et s’est généralisée pour devenir un mouvement contre le régime islamique. Ces dernières semaines de plus en plus de femmes sont sorties pour protester sans voile dans les rues des grandes villes du pays. En parallèle, les contrôles et arrestations de la police des mœurs semblent avoir diminué. La diminution de son activité peut être un remaniement des forces du régime concentrées sur la répression de la mobilisation avec plus de 450 civils tués et 18 000 arrestations pendant les manifestations. Samedi 3 décembre, les autorités iraniennes ont émis l’idée de réviser la loi de 1983 ce qui avec l’annonce de la suppression de la police des mœurs met le pays dans le doute, doute d’un recul de la République islamique face aux manifestants ou doute d’un enfumage de la mobilisation. La question se pose car les déclarations du procureur général sur la suppression de la police des mœurs n’ont été reprises par aucun officiel du régime et les arrestations liées au port du voile ont continué cette semaine, ce qui a provoqué de nouveaux appels aux manifestations. Les Iraniens ne semblent pas convaincus par les propos du procureur général, des avocats comme Ali Mojtahedzadeh, les ont qualifié de « non transparents » et « ambigus ». Le procureur général a annoncé que la police des mœurs a été abolie par « ceux qui l’ont créé ». Un flou entoure sa déclaration car le procureur général renvoie au ministère de la justice alors que la police des mœurs obéit normalement au ministère de l’intérieur qui n’a rien officialisé. Mohsen Borhani, un autre avocat a déclaré sur Twitter pour qualifier cette ambiguïté que « personne ne prend la responsabilité de la police des mœurs ». Il ne faut donc pas aller trop vite en causes à effets puisque pour l’instant rien ne nous permet de dire que l’Iran s’est débarrassé de sa police des mœurs. De plus, les mobilisations et les répressions continuent, de nombreux cas de grève de la faim ont été répertoriés dans les prisons. Les manifestations sont qualifiées de « rassemblements et collusions dans le but de perturber l’ordre public » ce qui simplifient les sanctions à l’encontre de ceux qui défient le régime des mollah. Les détenues sont maltraitées et intimidées. Par l’usage de la menace de la violence sur leur famille, elles sont contraintes d’accepter de reconnaitre ce que les geôliers leur demandent. Elles reconnaissent par exemple être financées par les services secrets de pays ennemis. Les autorités accusent les Etats-Unis, les Occidentaux et les Kurdes d’être à l’origine de ce mouvement et de ces manifestations qualifiées « d’émeutes ». Jeudi 8 décembre, Moshen Shekari, 23 ans, arrêté fin septembre a été le premier exécuté des manifestants, condamné à mort comme une dizaine d’autres. Il aurait participé à la mort d’un milicien du régime, un bassidj dépendant des gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique. Sa condamnation à mort n’a pas été communiqué à sa famille qui l’a apprise sur le coup.

La mobilisation semble continuer comme la répression et bien que le régime parait reculer par les dernières annonces, ce n’est peut être qu’une stratégie de leurre d’un régime qui se sent menacé et qui fait tout pour se maintenir. La République islamique a affirmé son réseau d’alliances depuis une dizaine d’années avec la Russie entre échanges d’armes, soutien économique, investissements et projets en collaboration ; avec la Syrie entre financements et contreparties en possessions, parts de marchés et entreprises comme la dernière en date en télécommunication rachetée par une société malaisienne liée aux gardiens de la révolution. Enfin, le modèle iranien bien qu’en difficultés en ce moment dans son pays a par voie de financement et de rayonnement culturel et religieux conquis de nombreuses couches des sociétés islamiques qui participent à une déstabilisation de la région.

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